Le 19 août 1940, au cœur d’un Paris déjà marqué par les sirènes de la guerre, naît un enfant juif français : Symcha Sylvain Ostrowiak. Dans les bras de sa mère, son rire clair se mêle aux bruits étouffés de la ville qui tente encore de croire à des jours meilleurs. Sa naissance, en pleine tourmente, portait déjà en elle la promesse fragile de l’innocence face à la violence de l’Histoire. Ses parents, des immigrés juifs venus chercher en France une terre d’accueil, voyaient en lui un souffle d’espérance, la continuité d’une vie qu’ils avaient rêvée libre et digne.
Dans la petite chambre modeste où il grandit, Symcha n’était qu’un bébé joyeux. Ses yeux sombres reflétaient l’émerveillement de la découverte, ses mains s’agrippaient au monde avec la vigueur de la vie qui commence. Ses premiers pas résonnaient sur le plancher usé, et ses parents riaient de le voir courir maladroitement vers la lumière d’une fenêtre entrouverte. Rien ne semblait pouvoir troubler ce tableau d’enfance, sinon l’ombre grandissante qui s’étendait déjà sur Paris.
En 1940, la France capitule. Le régime de Vichy collabore avec l’Allemagne nazie. Les rues de Paris, autrefois gorgées de chants et de lumière, deviennent menaçantes. Les affiches antisémites fleurissent sur les murs, les rafles se multiplient, et les familles juives sentent le piège se refermer. Symcha n’a pas encore deux ans lorsque les lois raciales s’abattent sur lui, un enfant qui ne sait rien de la haine mais qui en portera bientôt la marque fatale.
Les années qui suivent sont un compte à rebours cruel. En septembre 1942, alors qu’il vient à peine de souffler ses deux bougies, Symcha est arrêté avec sa famille lors d’une rafle. Le bruit sec des bottes sur le pavé, les cris dans les escaliers, les pleurs des mères serrant leurs enfants contre elles… tout cela marque la fin brutale de son univers familier. On les conduit à Drancy, cet antichambre de la mort où l’humanité s’éteint dans la promiscuité et la peur.
Dans le camp, Symcha n’est qu’un bébé parmi tant d’autres, mais son sourire fragile suffit à briser le cœur de ceux qui le croisent. Certains se rappellent ce petit garçon qui, malgré la faim et la soif, s’accrochait encore à la chaleur des bras maternels. Les wagons de marchandises, scellés comme des cercueils roulants, attendent déjà.
Un matin de septembre 1942, la famille Ostrowiak est poussée dans l’un de ces wagons. Le trajet vers l’Est dure des jours, sans eau, sans air, sans espoir. Les pleurs des enfants se confondent avec les prières murmurées, tandis que l’odeur suffocante des corps entassés envahit l’espace. Quand les portes s’ouvrent enfin, c’est pour laisser apparaître les barbelés d’Auschwitz, les miradors, et ces cheminées qui avalent le ciel.
À son arrivée, Symcha n’a aucune chance. Trop jeune pour le travail, trop petit pour survivre. Il est arraché aux bras de sa mère et conduit, avec d’autres enfants, vers la chambre à gaz. Il n’a pas trois ans. Le monde ne saura jamais quel homme il aurait pu devenir, quel destin il aurait pu tracer. Sa vie s’achève dans la fumée d’un crématoire, réduite au silence par la barbarie.
Mais son histoire ne s’éteint pas. Car aujourd’hui encore, sa photo subsiste : ce visage rond d’enfant, ce sourire tendre, figé pour l’éternité. Dans le regard de Symcha, nous voyons non seulement l’innocence détruite, mais aussi la mémoire d’une génération anéantie. Derrière chaque nom gravé au Mémorial de la Shoah, derrière chaque date inscrite dans les registres d’Auschwitz, il y a une vie, une famille, une promesse.
Se souvenir de Symcha Sylvain Ostrowiak, c’est rappeler au monde que la Shoah n’est pas une abstraction faite de chiffres et de statistiques. C’est la mort d’un enfant de deux ans, c’est le cri d’une mère qu’on a réduite au silence, c’est l’effacement violent d’un avenir qui aurait dû s’épanouir dans la paix.
La mémoire est une responsabilité. Aujourd’hui, quand nous prononçons son nom, nous lui rendons ce qu’on a tenté de lui voler : son humanité. Dans chaque école, chaque musée, chaque lieu de mémoire, le sourire de Symcha vit encore. Il est un appel à la vigilance, une prière pour que jamais l’oubli ne permette à la haine de renaître.
Et peut-être, dans un autre monde, celui que la guerre n’a pas brisé, Symcha court encore vers la lumière d’une fenêtre, rieur, libre, porté par l’amour de ses parents.