“Après notre débarquement à La Croix-Valmer, une féroce bataille s’est engagée au Golf hôtel, à Hyères. Nous étions appuyés par l’artillerie de la marine. On a fait des centaines de prisonniers. Bon nombre de mes camarades sont morts ce jour-là. Le souvenir doit perdurer.”
— Charles Allal, ancien combattant de la 1ère Division Française Libre, débarqué en Provence le 16 août 1944
Lorsqu’on évoque la Seconde Guerre mondiale, les mémoires collectives s’orientent presque toujours vers le Débarquement de Normandie, ses plages célèbres, ses milliers de soldats alliés tombés pour la liberté. Pourtant, deux mois plus tard, un autre front s’ouvrait, tout aussi crucial pour l’avenir de la France : le Débarquement de Provence, le 15 août 1944.
À La Croix-Valmer, au cœur du littoral méditerranéen, des hommes venus des quatre coins du monde posèrent le pied sur le sable brûlant de la Côte d’Azur. Parmi eux se trouvait Charles Allal, jeune combattant de la 1ère Division Française Libre. Il avait choisi la France comme d’autres choisissent une cause sacrée, porté par la conviction que la liberté valait plus que sa propre vie.
Ce jour-là, sous le soleil éclatant du Sud, la guerre montra son vrai visage : mélange de fracas, d’espoir et de mort.
À peine débarqués, les combattants français se dirigèrent vers Hyères. Là, un bâtiment anodin en temps de paix, le Golf Hôtel, devint une forteresse. L’ennemi, retranché derrière ses murs, s’y battit avec la férocité de ceux qui n’ont plus rien à perdre.
L’artillerie de la marine française, postée au large, tonnait sans relâche, projetant des gerbes de feu et de poussière. Le ciel vibrait, le sol tremblait, et dans les ruelles d’Hyères, les habitants terrés retenaient leur souffle. Charles se souvenait encore de la fumée, de l’odeur âcre des débris, des cris de ses camarades tombant un à un.
Le combat fut acharné. Des heures d’enfer condensées en quelques instants. Finalement, après des pertes terribles, la position ennemie céda. Ce jour-là, des centaines de prisonniers allemands furent capturés. Mais ce fut une victoire au prix du sang : « Bon nombre de mes camarades sont morts ce jour-là », répétait Charles avec une voix cassée par l’émotion.
L’image reste gravée : des colonnes de prisonniers, fatigués, hagards, marchant sous la surveillance des soldats français et alliés. Ils n’étaient plus que des hommes privés de toute arrogance, traînant derrière eux le poids d’une guerre qui les avait broyés.
Certains baissaient la tête, d’autres fixaient leurs geôliers avec un mélange de honte et de résignation. Mais dans le cœur de Charles, ce n’était pas la haine qui dominait, seulement la tristesse. Car lui savait que derrière chaque uniforme ennemi se cachait une histoire d’homme, une famille, un destin fracassé par la folie d’un régime.
La captivité des prisonniers de guerre devint un enjeu essentiel. Elle marquait la bascule : ceux qui, hier encore, portaient les armes contre les Alliés devenaient désormais des témoins silencieux d’une défaite inéluctable.
Chaque victoire avait son prix. Et pour Charles, ce prix portait des visages, des noms, des souvenirs. Ses camarades, jeunes hommes à peine sortis de l’adolescence ou vétérans aguerris, gisaient sur le sol d’Hyères, le regard vide tourné vers un ciel indifférent.
Il se souvenait particulièrement de Jean, son compagnon d’armes, tombé dans ses bras après avoir été touché par une rafale. Le sang avait coulé, chaud, entre ses doigts tremblants. Dans un dernier souffle, Jean avait murmuré : « Dis-leur qu’on a fait notre devoir. » Ces mots résonnèrent longtemps dans la mémoire de Charles, comme une promesse à transmettre aux générations futures.
Aujourd’hui, quand les plages de La Croix-Valmer s’animent de touristes et que le Golf Hôtel n’est plus qu’un bâtiment tranquille au milieu de Hyères, il est facile d’oublier que ce lieu fut jadis un théâtre d’horreur et de bravoure.
Mais Charles répétait toujours : « Le souvenir doit perdurer. »
Car la mémoire n’est pas seulement un hommage aux morts. Elle est aussi une leçon pour les vivants.
Oublier, c’est risquer de répéter les mêmes erreurs, c’est effacer le sacrifice de ceux qui ont donné leur jeunesse, leurs rêves et parfois leur dernier souffle pour que la France redevienne libre.
Le Débarquement de Provence ouvrit la voie à la libération rapide du Sud de la France. Toulon, Marseille, puis l’ensemble du territoire retrouvèrent, pas à pas, l’espérance. Dans chaque village, les cloches sonnèrent à toute volée, les drapeaux tricolores revinrent flotter aux fenêtres, et des larmes de joie remplacèrent celles de la peur.
Pour Charles, ce fut une consolation fragile. Ses camarades n’étaient plus là pour voir cette aube nouvelle. Mais leur sacrifice donnait un sens à cette victoire.
Aujourd’hui encore, sur les côtes de Provence, des monuments commémoratifs, des plaques discrètes ou des cimetières militaires rappellent le prix de la liberté. Des noms gravés dans la pierre, parfois oubliés du grand public, mais toujours présents dans la mémoire de ceux qui savent.
Le témoignage de Charles Allal, comme celui de milliers d’autres anciens combattants, est un héritage précieux. Il nous invite à réfléchir, à comprendre que la liberté n’est jamais acquise et que chaque génération doit en prendre soin.
L’histoire du débarquement à La Croix-Valmer et de la bataille de Hyères n’est pas seulement un épisode militaire. C’est une page de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale qui résonne encore aujourd’hui.
À travers les mots de Charles Allal, on entend les échos de la fraternité, du courage et de la douleur. On comprend que derrière chaque ligne des manuels scolaires, il y a des hommes de chair et de sang, des vies brisées, des promesses tenues au prix du sacrifice ultime.
Et quand Charles disait : « Le souvenir doit perdurer », il ne parlait pas seulement de ses camarades tombés. Il parlait de nous tous, de notre devoir de transmettre, de raconter, de ne jamais laisser le silence recouvrir ce passé.
Parce qu’un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir.